Résumé

Soutenue par un consensus éthique international, l’implantation du modèle du rétablissement, dont les principes d’empowerment et d’autodétermination en sont constitutifs, reste un défi majeur pour les services de santé mentale. S’appuyer sur des outils structurés et structurants aide les professionnels à mieux prendre en compte les expertises en présence pour favoriser un processus de décisison partagée et ainsi modifier leur posture dans le sens du partenariat. Le plan de crise conjoint (PCC) est une forme récente et validée qui permet d’inscrire l’appropriation de la santé par le patient dans une perspective temporelle, en anticipant la survenue d’une crise ultérieure. Contrairement aux directives anticipées, ce dernier n’a pas de valeur légale et doit né-cessairement être rédigé conjointement, au minimum entre l’usager et un professionnel, voire un proche, les rôles de chacun étant identifiés en amont. Plus synthétique, il offre l’avantage de pouvoir être rédigé dans des phases précoces des troubles psychiatriques. Né des mouvements de self-help et d’avocacy des usagers, le PCC est une forme de déclarations anticipées permettant à l’usager de définir ses préférences en termes de soins et de traitements. A l’heure actuelle, les déclarations anticipées sont relevées, dans la littérature scientifique, comme les seules interventions ayant un impact sur le recours et le vécu de la contrainte. L’implantation de tels outils dans le can-ton de Vaud constitue donc un enjeu important, puisqu’il possède le taux de soins sans consentement le plus élevé de Suisse, elle-même avec un taux relativement élevé en comparaison internationale. Selon les études, le PCC favorise une meilleure connaissance des troubles psychiques et de leur gestion, renforce l’alliance théra-peutique, favorise une meilleure utilisation des ressources socio-sanitaires à disposition, ainsi qu’une tendance à la baisse des coûts de prise en charge. Dans le canton de Vaud, le PCC est encore peu connu et implanté de manière très hétérogène, bien que son utilisation soit recommandée par la filière psychiatrique cantonale adulte. Dans le but de mieux comprendre les obstacles à son implantation et émettre des recommandations pour la chaîne de soins, une étude exploratoire a été conduite en 2017 avec le soutien financier de l’Unité de recherche appliquée du domaine santé de la HES-SO. Elle est le fruit d’une collaboration entre la Haute Ecole de Santé La Source, le Département de psychiatrie adulte du CHUV et le Réseau de soins de la région lausannoise. Le but de cette étude était d’explorer quantitativement et qualitativement les contenus et les pratiques du plan de crise conjoint au moyen d’un devis mixte, dans quatre contextes de soins°: l’hôpital, l’ambulatoire, le domicile et l’hébergement. Elle s’est déroulée en deux étapes°: la première, rétrospective sur dossier, a porté sur l’analyse des contenus des PCC et de leur qualité°; la seconde, à l’aide d’entretiens semi-structurés auprès d’usagers et de professionnels, a analysé la pratique du PCC Au total, 184 PCC ont été analysés et 24 entretiens, répartis à parts égales entre usagers et professionnels, ont été réalisés. Les résultats de l’analyse des pratiques confirment l’utilité et la pertinence du PCC. Les usagers le perçoivent en premier lieu comme un outil d’autogestion de la maladie et d’empowerment, qui fasse mieux en-tendre et respecter leurs volontés en termes de soins et de traitements. Pour les professionnels, le PCC est davantage perçu comme un outil de prévention de rechutes qui va aider à limiter les ré-hospitalisations. Les deux parties s’accordent sur le fait qu’il permet d’améliorer la communication sur la maladie, y compris avec les proches, et de réduire le sentiment d’urgence en cas de crise. Il a également été identifié comme un outil favori-sant l’alliance thérapeutique et étant au service de la transmission, de la continuité et de la coordination des soins. En ce qui concerne l’analyse des contenus, les résultats montrent l’existence de sept supports différents en circulation, dont certains ne comprennent pas toutes les rubriques originellement constitutives du PCC. Certains supports comportent des logos institutionnels et prescrivent le contenu. Le contenu renseigné par les usagers est cohérent dans 98% des cas et globalement de bonne qualité. Les thématiques sur l’identification des symp-tômes, des facteurs déclenchants, des stratégies et personnes à contacter en cas de crise sont les plus fré-quemment et les mieux documentées. Les thématiques qui se réfèrent aux aspects administratifs et contrac-tuels (sujet, date, signature) le sont le moins, ce qui soulève plusieurs questions comme la valeur accordée au document, l’engagement réciproque des parties et le processus de décision partagée en pratique. Quant aux thématiques sur les soins et traitements à préférer ou à éviter, elles gagnent à être plus détaillées et mieux ex-plicitées, en priorisant les interventions, en les justifiant et en nommant systématiquement des alternatives en cas de refus. Enfin, les obstacles suivants à son implantation sont le manque de sens perçu du PCC et d’appropriation de la démarche, l’absence d’informations, de formation et de processus d’implantation, de même qu’une difficulté d’accessiblité en cas de besoin. La rédaction du PCC est faisable dans n’importe quel contexte de soins sans restriction diagnostique, si ce n’est la présence de troubles cognitifs, de déficience intellectuelle et de démence. De façon générale il est recommandé que le PCC soit réalisé en post-crise, indépendamment du diagnostic et du lieu de soins, de même que pour des usagers qui expriment des préférences en termes de soins et de traitements ou encore qui ont expérimenté des effets secondaires majeurs aux soins et traitements. De façon plus spécifique, il doit être recommandé dans les phases critiques du rétablissement, dans des situations complexes et instables, nécessitant la coopération et la coordination de plusieurs professionnels et/ou un recours fréquents aux soins aigus, en cas de difficulté d’engagement dans les soins et dans les transitions organisationnelles, soit d’un lieu de soins à un autre ou encore d’un intervenant à un autre Le PCC doit être uniformisé au niveau cantonal, afin d’être connu par l’ensemble des acteurs du réseau socio-sanitaire et pouvoir suivre le patient dans sa trajectoire de soins. Pour son implantation, il importe que les institutions se positionnent clairement, élaborent des directives in-ternes et un processus qualité. La formation à l’outil semble indispensable et doit toucher les directions d’établissements, les cadres ainsi que l’ensemble des équipes pluridisciplinaires. Pour sensibiliser rapidement un grand nombre de cliniciens, une formation de base doit être disponible en ligne. Cependant, l’enjeu étant de faire évoluer les pratiques et de favoriser une culture commune autour du partenariat et des décisions parta-gées, il faudrait compléter celle-ci par une session en présentiel axée sur l’expérimentation pratique. Afin de renforcer les collaborations interinstitutionnelles, elle devrait être dispensée au sein des réseaux de soins du canton de Vaud et en binôme avec des pairs-praticiens en santé mentale, voire en collaboration avec des proches, pour garantir le respect des valeurs du rétablissement. Une plateforme web sécurisée accompagnée d'une application mobile vont être développées en collaboration avec des ingénieurs, pour garantir l’accessibilité du PCC et faciliter sa consultation et son application en cas de besoin. Vu ses nombreux avantages, le plan de crise conjoint doit être promu dans une perspective cantonale et de santé publique. Dans la continuité de cette étude, un projet de développement et d’implantation efficiente dans le canton, le projet ProPCC a d’ores et déjà été déposé par les réseaux de soins du canton auprès de Promo-tion santé suisse, dans le cadre d’un appel à projet visant la prévention dans les soins. Ce projet, soutenu par les associations d’usagers, de proches, de pairs-praticiens et par la santé publique, a passé toutes les étapes de sélection au niveau national et obtenu un financement pour son déploiement sur deux ans, soit de 2019 à 2020. Ce n’est qu’une fois le PCC intégré à la pratique du quotidien qu’une étude randomisée et multi-sites pourra être conduite à plus large échelle dans notre contexte, afin d’en mesurer les impacts aussi bien en termes de contraintes et de ré-hospitalisations qu’en termes économiques, pour déjouer les biais principaux relevés dans la littérature scientifique. Les résultats qualitatifs de notre étude resteront à confirmer dans un dispositif de plus grande envergure afin d’en permettre une généralisation. Il importera d’y intégrer également d’autres mesures qualitatives centrées aussi bien sur le processus de rétablissement et la qualité de vie des usagers, que sur ceux de la décision partagée et de la continuité des soins.

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